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Claude Cattelain se définit volontiers comme "artiste performer". Bien que le second terme semble restreindre les potentialités impliquées par le premier, il s'avère pourtant ici parfaitement indiqué, la polysémie du mot "performance" se révélant tout à fait significative.

Restriction tout d'abord. Claude Cattelain est à la fois vidéaste, dessinateur, concepteur d'installations, sculpteur ou encore photographe. On pourrait aussi bien le déclarer comédien, danseur et pourquoi pas chorégraphe. Mais l'essentiel n'est pas là. Qu'il dessine son corps et ses mouvements sur des feuilles grand format à l'aide d'allumettes (série des "Dessins par combustion") ou qu'il réalise, à l'aide de ces mêmes bâtonnets calcinés, de minutieuses sculptures évoquant miradors et autres architectures de contrôles à la structure branlante, c'est bien le déroulement même de ces réalisations qui est montré au travers de l'exposition des objets finis. De même, qu'il utilise la vidéo comme simple outil de constat d'une performance publique ou qu'il conçoive de courtes séquences dans l'intimité de son atelier (voir notamment la série des "Vidéos hebdo"), le médium vaut toujours essentiellement pour ce qu'il donne à voir de ce que Claude Cattelain a fait. Performance donc : le parcours accompli pour parvenir à ce qui est montré importe plus que ce qui nous est donné à voir ou plutôt, ce qui est donné à voir n'est pas tant ce que nous voyons que l'ensemble du chemin qui mène à ce moment.

Quant à l'objet de ces performances, disons, pour faire simple, qu'il s'agit du corps. Et ajoutons de suite que si le corps est l’objet principal des performances de Claude Cattelain, le corps de Claude Cattelain en est le sujet presque exclusif. Pour reprendre la distinction saussurienne, il s’agit d’un dispositif où signifié et signifiant se confondent : l’artiste montre essentiellement son corps en train de se mettre lui-même à l'épreuve. Une mise à l’épreuve du corps non pas « pour le plaisir » mais plutôt pour en cerner les limites (au risque d’ailleurs du déplaisir voire de la souffrance), pour en délimiter la présence au monde.

Pour ce faire, Claude Cattelain multiplie les expériences et refond systématiquement son dispositif de manière à s’assurer un accès toujours renouvelé aux contours de sa corporéité. Tandis que les « dessins par combustion » évoqués plus haut conduisent à une cartographie mouvante et incandescente de ses propres frontières physiques, une oeuvre comme « Vidéo hebdo n° 23 » (dans laquelle l’artiste s’impose une séance d’apnée à l’aide de gros scotch) permet quant à elle une approche « pneumatique » de cette même réalité. D’autres types de délimitations subjectives sont encore expérimentées : « Vidéo hebdo n° 2 » documente les aptitudes musculaires de l’artiste (en nous le montrant tournant sur lui-même tout en soulevant un parpaing de béton au bout d’une corde) tandis que « Don’t try » ou encore « Vidéo hebdo n°46 » mettent en évidence ses propriétés d’équilibre (dans la première vidéo, perché sur une corniche, il lutte contre le vent qui tend à le faire chuter ; dans la seconde, il s’applique à déséquilibrer à l’aide de cales successives la chaise sur laquelle il est installé).

On le voit le type de dispositifs auxquels recourt Claude Cattelain afin de proposer une caractérisation limitative de sa propre personne requiert presque toujours une manière de mise à l’épreuve. En dernière analyse, il s’agit de révéler les points de rupture, de déterminer ce que le corps est à même de supporter. Supporter, performer : de par leur polysémie comme de par leur appartenance à un même champ lexical, ces deux termes soulignent incidemment un des aspects fondamentaux de l’œuvre de l’artiste à savoir sa proximité avec la pratique sportive.

Le travail de Claude Cattelain semble en effet partager avec le sport certaines de ses principales caractéristiques. De fait, il s’agit dans les deux cas d’une activité physique requérant certaines qualités telle que l’endurance, la souplesse, la coordination… Dans un cas comme dans l’autre c’est le geste de la réalisation qui a valeur en soi (n’importe quel supporter de football vous confirmera en effet que seule importe l’action qui mène au but et non pas le résultat de la rencontre…) et l’ensemble de la « partie » se joue dans le respect de règles établies (on renverra à cet égard à la manière visiblement appliquée, voire méthodique, avec laquelle Claude Cattelain réalise la majeure partie de ses performances). Ces deux types de pratiques – performance artistique d’une part et performance sportive d’autre part – sont en outre de nature foncièrement improductive et ludique. Enfin et surtout, il est généralement admis que l’activité physique permet l’accès à une conscience approfondie de soi (le plus souvent pensée en termes de résorption de la traditionnelle dichotomie âme / corps) et il n’est pas incongru de considérer la démarche artistique de Claude Cattelain (comme avant lui celles des body-artistes des années 70 ou encore, plus près de nous, celle de l’artiste athlète Matthew Barney) comme relevant de cette même quête ontologique.

Mais comparaison n’est pas raison et si la performance de l’artiste se rapproche de bien des manières de la performance sportive, si elle partage avec celle-ci certains de ses moyens, elle ne poursuit bien entendu pas les mêmes fins. La réappropriation de soi à laquelle conduit in fine la pratique d’un sport n’est, dans la démarche artistique de Claude Cattelain, qu’une étape ou plutôt qu’un moyen en vue d’autres objectifs. Elle n’est qu’un moment de la dé-monstration. Au travers de ses multiples expérimentations portant sur les limites du corps et de son inscription dans l’espace, Claude Cattelain s’interroge non pas spécifiquement sur sa seule enveloppe charnelle mais sur la condition humaine dans son ensemble.

La mise à l’épreuve du corps de l’artiste par l’artiste dépasse à la fois sa et la seule corporéité. Claude Cattelain est un artiste engagé, non dans le sens généralement admis de cette expression mais au sens stricte d’artiste s’impliquant personnellement et physiquement dans son travail. Pourtant son corps n’est ici que le sujet d’expériences valant pour tout à chacun. A la manière d’un Nietzsche dressant son autoportrait complet (ne nous épargnant pas même ses ennuis gastriques) en guise de fondement à sa méditation sur la condition humaine, l’artiste joue de son corps pour dresser le portrait de l’Homme : « ecce homo »…

La gratuité du geste sportif, l’apparente absurdité du geste performatif fait ainsi écho à la vacuité de l’existence. Ici le jeu n’a pas vocation de divertissement. Il agit comme révélateur de l’absurdité de notre condition. Et si l’humour n’est nullement absent de ce dispositif c’est sans aucun doute que larmes et lamentations ne sont pas de mise. Comme notre corps dont il nous est loisible de jouer pour mieux nous l’approprier, notre existence n’a de signification que celle que nous voulons bien lui conférer dans un geste qui - à notre corps défendant - nous fait accéder au statut de l’artiste.