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L'atelier

Anna Mermet

2016

La première chose que l'on voit en entrant dans l'atelier de Claude Cattelain, ce sont ces entailles dans les murs, ces accrocs laissés, là, comme uniques preuves d'une ascension. Ce n'est pas à coup de pioche que l'artiste a escaladé les parois de son atelier mais avec l'aide de trois planches étroites.

 Claude hisse son grand corps, s'élève au dessus du sol. Le format 8/9 est basculé, pour nous donner à voir un cadre tout en longueur, en verticale, qui correspond à celui déjà induit par le lieu. Ce couloir, qui fait partie intégrante de l'atelier pour l'artiste, devient ici le lieu d'un petit exploit personnel.

 

Écouter Claude Cattelain parler de son travail, c'est déjà en faire l'expérience. Je ne sais exactement où se situe la spécificité de sa parole, mais il semblerait que Claude sache raconter les histoires.

Pas un discours. Pourtant, aucun artiste n'est à l'abri de figer sa parole, à force de raconter, encore et encore, à de nouveaux auditeurs, les mêmes choses sur une pièce, sur sa démarche.

Cette voix qui se pose, elle active notre imaginaire.

Je regarde le dessin par combustion étalé au sol. Déjà, je regrette de ne pas assez le regarder. J'écoute Claude qui explique, calmement, la façon dont il procède pour produire cette gestuelle de feu, où le corps, le papier et la flamme se frôlent, se contournent, respirent ensembles.

Claude est pudique. Être nu, oui, mais dans le noir. J'entends les mots qu'il pose sur cette façon de dessiner bien à lui, cette manière de faire du dessin une danse, d'inscrire le corps dans la page blanche. J'entends et je vois cette allumette qui craque dans l'obscurité de l'atelier, et qui fait apparaître, le temps de son éphémère combustion, l'endroit où la peau et le papier se touchent. Je vois la lumière intense et fragile, le contour du corps, ce clair obscur pictural qui bouge pourtant.

Face à moi, seule reste cette feuille immense, cette page qui porte les coups de flamme, les coups de charbon, de laquelle surgit une vibrante et évanescente silhouette.

Claude raconte les ratés. Il parle de ces traces noires qui sont le fruit de ses erreurs, d'avoir trop approché le papier avec l'allumette dans l’ampleur de son mouvement. Ces traces noires apportent un doux contraste, une complexité à son dessin. Il les aime, ces erreurs. On pourrait même penser que c'est ce qu'il attend de ces tentatives, des actions qu'il entreprend : il tend la perche au hasard, à l'imprévu.

Il n'est pas question ici de maitrise technique. Les irrégularités, les fragilités sont au cœur de ses préoccupations.

Pourquoi tenter une ascension sur de précaires planches alors qu'il est sujet au vertige ? Parce que dans ce lent dépassement de ses peurs, dans la tentative modeste de se hisser en haut de ce couloir blanc, se trouvent les maladresses, les hésitations qui font la délicatesse de sa proposition.

Si Claude n'avait pas un peu le vertige, s'il n'était pas complètement rétif au fait de se faire mal lorsqu'il joue avec le feu, ces propositions deviendraient des bravades, des fanfaronnades sur lesquelles il n'y aurait pas lieu de s’attarder. Bien au contraire, c'est dans la fragile incertitude, l'absence de confiance en son geste, que se joue la poésie de ses actions.

 

Visiter l'atelier de Claude, même vide, même entre deux périodes de travail, même au retour de vacances, c'est déjà s'immerger dans une démarche où le corps est dessin et sculpture en devenir.

 

Anna Mermet

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