Texte pour le catalogue rétrospectif édité par la Médiatine à l'occasion de l'exposition The Ghost of Yourself
Vent debout.
Ce qu’il y a peut-être de plus significatif dans le travail de Claude Cattelain, c’est la façon très directe avec laquelle ses œuvres se donnent à penser et à voir. Chaque pièce porte en elle sa propre conclusion, sans qu’il soit nécessaire de l’appréhender à travers le prisme d’un propos qui ne lui soit pas directement connecté. Les intentions s’échafaudent toujours à partir d’éléments concrets et d’expérimentations empiriques, avec tout ce qu’elles contiennent de potentiels échecs ou réussites. Par-delà l’audace, l’ensemble n’est pas sans inspirer une multitude de réflexions sur l’existence, dans ce qu’elle a de plus résolu, sensible et résiliant.
La performance à ceci d’héroïque qu’elle se risque aux limites de la résistance des matériaux et du corps de l’artistes, à la fois instigateur, sujet et objet d’évènements dont les caractéristiques – consubstantiellement physiques, esthétiques et poétiques - ne trouvent leur justifications que dans le rapport de force et le fragile équilibre gagné. Événements qui souvent s’expriment dans la durée, témoignant d’une indéniable inclinaison pour l’endurance et la discipline qu’elle suppose.
On identifie souvent, et à raison, le travail de Claude Cattelain au sport ou à la danse, le corps de l’artiste étant son principal outil. On pense parfois aux chorégraphies d’Alexander Vantournhout ou de Wim Vandekeybus - pour la prise de risque - ou encore à certains états générés par les courses de longues distances, lorsque l’athlète flirte tant avec ses limites corporelles que psychiques. Tout se passe effectivement comme si l’artiste cherchait le mur[1], non pour le franchir, mais en éprouver la résistance, s’y articuler ou s’y lover : dans FROM SAND TO DUST, Claude Cattelain marche sur place sur une plage de sable et fini progressivement par s’y enfoncer[2]. La durée de la vidéo est de 3H57…le temps moyen d’un marathon. Dans une autre[3], muni d’un balai, il repousse inlassablement les vagues à l’assaut du rivage. Parfois les choses sont plus périlleuses : dans une vidéo de 2006, l’artiste s’incline en arrière du haut d’un toit[4] ; dans une autre, il se met au défi de fixer durant 10 secondes l’objectif d’une caméra placée sur le tableau de bord de sa voiture[5]. Plus qu’une invariable reprise du mythe de Sisyphe, c’est bien la recherche d’intensité, sous toutes ses formes, qui semble guider l’artiste, que ce soit dans le cadre de performances ou d’interventions sculpturales. Il est d’ailleurs un peu arbitraire de distinguer ces deux pratiques, dans la mesure où le corps comme les matériaux s’utilisent de la même manière : sous tension – comme si l’artiste utilisait ses poutres, bois de coffrage et serre-joints tels le prolongement de ses membres et de sa pensée. Car si les installations s’appréhendent dans leur fixité, elles témoignent toujours des processus mis en œuvre, tout en s’achoppant, elles aussi, à la lisière du vide et de l’effondrement.
Créés systématiquement in situ, ces dispositifs engagent tant le corps du spectateur que l’architecture dans laquelle ils se déploient. La proposition faite pour la Médiatine est sur ce point remarquable, dans la mesure où la totalité des espaces sont investis, non pour justifier les étapes d’un travail ou d’une carrière, mais pour les usages, complètement détournés, qui en sont fait par les visiteurs. Bien que laissant places à quelques pièces autonomes, l’essentiel de l’exposition consiste à solliciter le regard et le corps dans l’exploration hardie d’un espace fait sculpture - avec tout ce qu’il contient d’impasses, de chausse-trappes et d’horizons conquis. Relativement contraignant, le parcours invite paradoxalement à bien des libertés, notamment celle de s’approprier physiquement l’installation, quitte à s’y perdre ou s’y cogner un peu. Plus que témoin d’une ascèse, d’une prise de risque où des effets plus ou moins maitrisé de la gravité, c’est bien le public qui, littéralement, est amené à s’exposer.
Benoit Dusart.
[1] « Frapper le mur » est d’ailleurs une expression utilisée par les marathonien.nes pour signifier l’instant où leurs réserves glucidiques sont presque vides, le plus souvent au dernier quart du parcours. De leur point de vue, la course démarre véritablement à ce moment-là.
[2] FROM SAND TO DUST, Vidéo HD, 16/9 vertical, 2011.
[3] FABRICA/BRIGHTON - DAY 10 RELOADED, Vidéo - hd - 16/9 - 4 mn - 2016
[4] DON'T TRY, Video 4/3, 1’. 2006.
[5] Compter jusqu’à 10 en regardant l’objectif, vidéo HD, 5’40’’, 2013.