Dans vos actions vous vous confrontez à des défis qui semblent insurmontables, et vous évoquez la douleur que vous ressentez quand vous n’avez pas réussi l’objectif que vous vous étiez fixé. Pourtant vous réitérez ! Comment l’expliquez-vous ?
II est effectivement parfois question de défi, des défis lancés à soi même, dont l'enjeu principal est souvent lié à la résistance : la résistance aux matériaux, la résistance de nos gestes qui s'usent peu à peu dans la durée. L'objectif de ces actions est l'action elle-même, et si elle est parfois très physique et nécessite un effort, il n'y a, en aucun cas, de recherche d'une douleur quelle qu'elle soit. Ce sont des gestes parfois absurdes mais qui me semblent contenir un potentiel de significations liées à notre condition, à nos fragilités et à nos entêtements.
Dans un interview, vous qualifiez vos performances - et vidéos performances - de potentiellement dangereuses. Vous précisiez: "Á la limite du danger, seulement".
Comment déterminez-vous cette limite ? En quoi conditionne t’elle vos actions ? Comment les préparez vous ? Comment expliquez-vous cette attirance ?
La notion de danger est en effet importante car elle nécessite une grande attention aux gestes que l'on réalise. C'est une manière d'être pleinement présent à ce qui se construit sur le moment. Les risques que je prends sont parfois importants, mais ils sont conditionnés par le sens de l'action qui les porte. Ils sont parfois absurdes mais jamais gratuits. Quant à la limite du danger, je pense que je jauge la prise de risque au potentiel de l'image qui en résultera. C'est la fabrication de ces images qui
m'intéresse avant tout. Ceci dit, il arrive parfois que la conscience de l'image en train d'être filmée perturbe ma notion du danger réel et le risque pris peut sembler démesuré a posteriori. Mais au fond, rien ne peut arriver de tragique puisque je suis dans une image, celle que la caméra filme de mon action. L'image qui se créé est ressentie comme un espace presque sacré, dans lequel rien ne peut m'arriver. Ce
sentiment a été parfois la condition de réalisation de certaines de mes
images.
Vous parlez de votre intérêt pour, je cite, "les formules mathématiques simples".
Elles ont été prouvées et démontrées. Il y a donc une sorte de vérité et de certitude en elles. Si nous contemplons "3 blocs", il semble que vous vous confrontiez à la formule de physique, p = mg, que tout un chacun a rencontrée au lycée. Alors, voulez vous à nouveau confirmer la formule, ou introduire le doute ? Dans cette vidéo, il est presque impossible de réaliser votre objectif. En un sens, ne voulez-vous pas nous obliger à réfléchir sur les certitudes et sur les dogmes ?
J'aime que mes images restent ouvertes aux interprétations, et je ne me lasse pas d'en découvrir de nouvelles au fil des années. C'est ce qui me permet de renouveler mon regard sur des travaux parfois anciens et de pouvoir créer de nouvelles connections entre eux. Mon goût pour les formules mathématiques se porte plus vers les suites, dont la plus célèbre est celle de Fibonacci. Elle procède de cette
constance empirique qui résonne dans certains de mes travaux. Mais elle porte aussi cette idée d'infinitude où chaque nouveau résultat détermine le suivant, sans but, juste dans le plaisir infini de pouvoir agir.
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In your actions you face challenges which seem overwhelming and you mention the pain you feel when you do not reach the target you aimed for. But yet you reiterate! How do you explain it?
Indeed, it is sometimes a matter of challenge, challenges to oneself, whose main stake is often linked to the strength: the strength of materials, the strength of our gestures which slowly wear away over time. The aim of these actions is the action itself, and if it is very physical and requires an effort, there is in no way a search for any pain whatsoever. They are sometimes nonsensical gestures but which seem to contain a potential meaning linked to our condition, our weaknesses and our willfulness.
In an interview you call your performances -and videoperformances- potentially dangerous. You specify “On the brink of danger only”. How do you assess this limit? In what way does it determine your actions? How do you prepare them? How do you explain this appeal?
The concept of danger is indeed important as it necessitates a great attention to the gestures we make. It’s a way to be wholly conscious of what is being built at the time. The risks I take are sometimes important, but they are determined by the meaning of the action which bears them. They are sometimes nonsensical, but never gratuitous. As for the limit of danger, I think I gauge the risks I take according to the
image potentially derived from it. It’s the making of these images which interest me above all. This said, sometimes it happens that the awareness of the image being filmed disturbs my notion of real danger and the risk taken may a posteriori seem disproportionate. But basically, nothing tragic may happen, as I am in an image, the very one of my action being filmed by the camera. The image thus being created
is felt as an almost sacred space, in which nothing can happen. This feeling has sometimes been the condition for the making of some of my images.
You talk of your interest for I quote “simple mathematical formulas¨. They have been proved and demonstrated. There is then a kind of truthfulness and certainty in them.
If we consider “3 blocks”, it seems we confront the physics formula w = mg, which each and every one of us came across in high school. Then, do you wish to confirm the formula anew, or instill a doubt?
In this video, it’s almost impossible to reach your aim. In a way, do you not wish to compel us to reflect on certainties and dogmas? I like my images to be open to interpretations and I do not get tired of discovering new ones over the years.
This enables me to renew my view on previous sometimes old works and be able to create new links between them. My taste for mathematical formulas tends more towards sequences, the most famous of them being Fibonacci’s. It proceeds from the empirical consistency which resonates in some of my works. But it carries also an idea of infinitude where each new result determines the following, without goal, but only in the infinite pleasure to be able to act.
Traduction : Aurélia Robertson